Vallée d’Aspe, hier et aujourd’hui

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Du jeu de piste au jeu des différences

Des années de fréquentation de la vallée d’Aspe, un grand intérêt pour ce magnifique et accueillant petit coin de Béarn et une collection de cartes postales anciennes des treize villages du canton d’Accous ont donné naissance à un projet : et si l’on allait chercher les endroits d’où les photographes de l’époque ont pris leurs clichés et qu’on essayait de reprendre la même image ?

Voilà un moyen de découvrir la vallée autrement, qui nous a fait sillonner ce territoire par des sentiers jusqu’ici inconnus, rencontrer des habitants pour leur demander leur avis sur tel ou tel point de vue, ou leur permission de rentrer dans leur maison ou leur champ pour prendre la photo.

Nous avons constaté, au travers de nos investigations pour retrouver les points de vue, que les photographes de l’époque étaient courageux, car leur matériel n’était certainement pas aussi léger que le nôtre, et pourtant, ils se rendaient visiblement sur des versants escarpés (pour prendre le fort du Portalet ou le viaduc d’Escot par exemple) où nous ne sommes pas toujours parvenus à les suivre !! A notre décharge, beaucoup de sentiers ont disparu.

De plus, il nous est aussi vite apparu que les sujets des cartes postales anciennes étaient vraiment ancrés dans leur temps, montrant les villages, les paysages agricoles, les activités artisanales ou les infrastructures de transport. Ces thèmes ne sont pas tous restés au cœur des préoccupations des photographes d’aujourd’hui, qui s’intéressent davantage aux montagnes, aux forêts, …

Quoiqu’il en soit, le côté ludique de ce projet, qui nous a lancé dans une sorte de « chasse au trésor » nous a beaucoup plu.

En revanche, il nous est arrivé d’être déçus aussi, après quelques temps de recherche et de grimpette, car même en ayant localisé le lieu d’où le cliché avait été pris, nous n’avons pas pu le reprendre, à cause de quelques arbres, d’un nouveau bâtiment ou d’ une véritable forêt apparus entre temps. Par exemple le village de Borce est beaucoup plus difficile à prendre en photo aujourd’hui, que ce soit du fond de la vallée ou du dessus du village.

Quelques semaines des étés 2007 et 2008 ont été consacrées à ce travail sur le terrain, qui nous permet aujourd’hui de mettre en évidence en juxtaposant les deux clichés, l’ancien et le nouveau, les mutations qu’a connues la vallée d’Aspe dans les dernières décennies. Mais, les choses évoluant vite, nous avons parfois même été surpris de voir qu’entre les deux étés où nous avons réalisé nos photographies, les endroits avaient déjà changé (pont d’Osse à la sortie de Bedous, abords du gave à Osse en Aspe). Ceci fait que finalement, nos photographies ne montrent pas toujours des changements qui se sont opérés sur le long terme au cours du XX^ème siècle, mais parfois des modifications très récentes. Le meilleur exemple est la photographie de la place de l’Eglise à Sarrance, qui a peu changé depuis la photographie ancienne, si ce n’est que quelques jours avant notre passage, la fontaine avait été déplacée, rapprochée du lavoir, pour des questions de circulation.

Pour l’équilibre du résultat final, nous avons sélectionné, parmi les cartes postales anciennes, des images en fonction de leur répartition géographique ainsi que des sujets représentés afin de rendre compte au mieux des paysages aspois et de leur évolution. Malheureusement, nous n’avions pas de photographie ancienne du village de Lourdios-Ichère et très peu d’Escot, d’Athas ou d’Eygun, ce qui nous a empêché de leur accorder une place dans notre projet.

Les différents diptyques sont classés du Nord au Sud, invitant le lecteur à un voyage en vallée d’Aspe en commençant par franchir le défilé d’Escot, en visitant de nombreux villages et en finissant par la borne frontière du col du Somport et la gare de Canfranc.

A vous maintenant de découvrir la vallée d’Aspe d’hier et d’aujourd’hui et de jouer au jeu des différences

Un projet photographique révélateur de mutations

Plusieurs phénomènes ont contribué à des modifications majeures des paysages aspois.

Tout d’abord, l’exode rural l’a vidée d’une partie de sa population . Les difficultés de la vie en montagne, l’éloignement des nouveaux centres d’activité économique que sont devenues les villes, l’industrialisation, sont autant de phénomènes qui ont contribué à ce que de nombreux jeunes gens quittent la vallée.

Ceci est visible dans les vues générales des villages, où, en observant attentivement l’on peut constater que le nombre d’habitations a diminué.

Simultanément, l’activité agricole a connu un net recul, abandonnant de vastes terres (pâturages d’altitude mais aussi champs aménagés en terrasse autour des villages). Les contraintes de la pente, de l’enneigement, les difficultés de modernisation, et l’éloignement des consommateurs ont eu raison de beaucoup d’exploitations agricoles. Ce recul de l’activité agricole a certainement été l’un des phénomènes qui a eu le plus d’effet sur les paysages aspois. Traditionnellement modelés par cette agriculture (terrasses, bordes, cabanes d’altitudes, sentier dessinés par les bêtes , estives…) les abords immédiats des villages comme les flancs des montagnes ont totalement changé d’apparence. Beaucoup de ces espaces autrefois exploités sont tout simplement redevenus sauvages, et la forêt les a progressivement recolonisés. Les bâtiments d’exploitation quant à eux, s’ils n’ont pas été reconvertis en habitation permanente ou secondaire, sont tombés en ruine et constituent aujourd’hui les vestiges d’une activité autrefois beaucoup plus présente. Certains clichés comme à Lées-Athas, laissent toutefois apparaître des bâtiments d’exploitation assez récents situés dans le vallon, sur des terres plates et proches du village, ceci démontrant que l’activité agricole est toujours bien présente, même si elle s’est déplacée.  

Vers la fin du XX^ème siècle, de nouvelles activités sont toutefois venues s’implanter : de rares, mais imposantes industries (sur la route allant de la N 134 à Lescun), et de nombreuses activités liées au tourisme vert qui s’est développé dans la vallée (clubs de parapentes à Accous, gîtes ruraux et restaurants qui ont contribué à la restauration de nombreuses maisons comme à Sarrance).

La voie de chemin de fer qui traverse du nord au sud la vallée fut la première à franchir le massif pyrénéen, lors de son inauguration en 1928. L’étroitesse de la vallée et la pente assez forte avaient rendu nécessaire la construction de nombreux tunnels ferroviaires (tunnel transpyrénéen du Somport, tunnel hélicoïdal..), ainsi que celle de quelques impressionnants viaducs (Escot, Lescoude, Arnousse). Ces ouvrages d’art avaient donc été l’objet de nombreuses photographies pendant et après leur édification. La ligne SNCF n’est plus exploitée depuis 1970, mais dans l’ensemble ces ouvrages sont toujours là, même si la végétation les envahit de plus en plus, ce qui a rendu impossible d’en reprendre certains en photo (viaduc de Lescoude à Sarrance). Quand nous sommes parvenus à les photographier, les clichés montrent qu’ils n’occupent plus aujourd’hui la même place qu’autrefois, et qu’ils ne sont plus l’objet de l’admiration.

L’entrée dans la CEE de l’Espagne et du Portugal en 1986 a été un événement qui, paraissant pourtant lointain, a eu un impact majeur en vallée d’Aspe : il fallait désormais de bonnes liaisons routières pour desservir la péninsule ibérique, et les axes préexistants sur les côtes atlantique et méditerranéenne ne suffisaient plus. L’idée de creuser des tunnels routiers sous les Pyrénées a alors commencé à être évoquée, et progressivement, les vallées d’Aspe et du Puymorens ont été choisies. Le creusement du tunnel en lui-même a surtout changé les paysages en fond de vallée, au niveau des Forges d’Abel, là où autrefois s’était établi le chantier du tunnel ferroviaire. Mais les modifications majeures liées à ce nouveau statut qu’a acquis la vallée de voie de passage privilégiée entre la France et l’Espagne sont visibles tout au long de la RN 134, qui a été aménagée pour faire face à des flux plus importants de circulation : déviations de villages (achevées depuis longtemps comme celle de Sarrance ou Etsaut, plus récemment pour Bedous), adoucissement des courbures des virages, changement du cours du gave, modifications des versants ).

Cependant, à côté de toutes ces mutations, notre travail nous a aussi permis de constater certaines permanences. Certains éléments des paysages aspois n’ont quasiment pas changé : les images prises à l’intérieur des villages montrent en effet le plus souvent des changements mineurs comme ceux des façades des maisons, de la place nouvelle des automobiles. A notre étonnement, en recherchant des repères grâce aux anciennes cartes on trouvait assez facilement des façades de maisons, des toits, des fenêtres…identiques. Mais il y avait des pièges, comme la mairie de Bedous, qui ne semble pas avoir changé, mais qui a deux arcades de plus en réalité. D’autres modifications subtiles ont été observées, qui visaient à la fois à répondre à des exigences de circulation actuelles et à préserver des « emblèmes » du patrimoine (tête d’ours à Etsaut, fontaine à Sarrance).

Une exception notable toutefois à cette permanence des cœurs de villages, les photographies du centre d’Etsaut, où le gave a été totalement recouvert a laissé place à un parking.

Les infrastructures liées à production hydroélectrique (conduites le long des pentes, petites centrales…. ) sont plus nombreuses aujourd’hui, mais apparaissent déjà sur les clichés anciens, au niveau du défilé d’Esquit par exemple. Il en est de même pour la filière bois, car l’exploitation des forêts aspoises est ancienne mais a persisté (Lées-Athas)

Enfin, le fort du Portalet, construit au XIX^ème siècle en haute vallée, avait fait l’objet de nombreuses photographies du fait de sa position impressionnante et de son architecture en partie troglodyte. Aujourd’hui, il a peu changé, si ce n’est la végétation qui l’entoure qui est devenue plus touffue. On distingue en arrière plan le chemin de la mâture, creusé dans la paroi rocheuse, autrefois chemin d’exploitation forestière, aujourd’hui tronçon du célèbre GR10, fréquenté surtout par des randonneurs et des adeptes de l’escalade.

Rendez-vous dans quelques années pour une nouvelle observation des changements.